mardi 23 juillet 2013

Une ville peut-elle faire faillite en France ?


Étendard de l'automobile triomphante au début du XXe siècle, Detroit est devenue jeudi 18 juillet la plus grande ville américaine à se déclarer en faillite, dernier acte en date de la lente agonie de « Motor City ». 
La dette accumulée par Detroit est vertigineuse : 18,5 milliards de dollars. Pour sortir de l'ornière, Rick Snyder avait mandaté un expert, Kevyn Orr qui avait résumé les causes de cette crise en quelques points : « une mauvaise gestion financière, une population en baisse, une érosion de la base fiscale pendant ces quarante-cinq dernières années ».
Une commune en France pourrait-elle atteindre ce point critique ? L'hypothèse apparaît improbable et de nombreux garde-fous existent de ce côté-ci de l'Atlantique mais...
Les collectivités locales françaises ne sont cependant pas des modèles d'équilibre financier : les communes et groupements de communes, les départements et les régions sont endettés pour un montant total de 132,4 milliards d'euros au 31 décembre 2012 (+3,8% sur un an), soit 70% de leurs recettes de fonctionnement, selon l'Observatoire des finances locales.
Les villes et villages français ne sont donc pas franchement en bonne santé financière (comme le montre le classement des villes les plus endettées de l'Hexagone), mais vous n'entendrez jamais parler d'une commune qui dépose le bilan. Et pour cause, elles ont un des meilleurs garants au monde : l'État français. Le seul risque est donc que l'État lui-même fasse faillite.

Explications.
D’abord, les règles budgétaires sont strictes et le niveau d’endettement serait  moins élevé
Les communes françaises ne peuvent théoriquement pas atteindre le niveau de dette record des villes américaines.
Tout d'abord, il est interdit en France d'emprunter pour « combler un déficit de la section de fonctionnement ou une insuffisance des ressources propres ». En clair, le code général des  collectivités locales n'autorise le recours à l'emprunt que pour financer des investissements, pas pour les frais courants.
Pour surveiller et éviter les écarts, les comptes de chaque commune sont contrôlés par l'État. Le budget des communes est établi en début d'année. Au mois de juin, le compte administratif, qui permet de vérifier les dépenses par rapport aux prévisions, est établi et voté. L'administrateur des finances publiques, représentant comptable de l'État dans le département, certifie la bonne tenue des comptes.
Le budget que vote la commune doit être équilibré, c'est-à-dire que ses recettes doivent couvrir l'intégralité de ses dépenses - elle ne peut donc pas comme l'État voter un budget en déficit -, les recettes et les dépenses doivent être évaluées « sincèrement », et elle doit être capable de rembourser le capital - hors intérêts d'emprunt - de sa dette contractée avec ses ressources propres.
Cela ne les empêche pas de s'endetter, mais elle ne peut pas le faire au-delà de sa capacité de remboursement.

L’arme suprême,  la mise sous tutelle :

« Si une commune fait des travaux et qu'elle ne peut pas régler les factures, l'entrepreneur sera payé par l'État », explique Maxime Seno, avocat spécialisé en finances publiques contacté par francetv info. Lorsqu'une municipalité ne boucle pas son budget, la chambre régionale des comptes lui demande de faire des efforts l'année suivante.
Si la situation ne s'améliore toujours pas, le préfet, représentant de l’État, prend les rênes de la gestion des finances.
Ce fut le cas à Grigny en 2009, où la commune de l'Essonne se retrouva avec un déficit insupportable de 15,5 millions d'euros. Faute de budget adapté à la gravité de la situation, le préfet avait suivi les recommandations de la chambre régionale des comptes : les taxes foncières avaient bondi de 50 % et la taxe d'habitation de 44,26 %. Ces hausses s'étaient accompagnées d'une réduction autoritaire des dépenses de personnel et des subventions aux associations. Ce qui veut dire que chaque citoyen doit mettre la main à la poche.
Plus récemment, dans le Val-d'Oise, la ville de Beauchamp a subi le même sort. Mais les élus ont refusé de voter un budget qui prévoyait une hausse de 27 % de la taxe foncière. Le maire a retiré le vote, provoquant de facto la mise sous tutelle de la ville. Depuis, la chambre régionale des comptes a rendu son verdict : elle demande une augmentation de 30 % de la taxe foncière.
Dans les cas extrêmes, le Conseil d'État peut destituer le maire de ses fonctions, expliquait  Le Monde. C'est ce qui s'est passé pour la commune de Hénin-Baumont dans le Nord-Pas-de-Calais en 2009 avec révocation du maire Gérard Dalongeville.

En France, tous les ans, 200 à 300 municipalités sont mises sous tutelle, d'après Maxime Seno. Cela ne dure parfois que quelques mois, le temps de redresser les comptes, mais les conséquences sont les mêmes que celles de la faillite de Detroit.

La ville perd toute crédibilité auprès des électeurs...
Rien ne dit mieux son incapacité à gérer un budget que d’être mis sous tutelle. Et si cela peut constituer un argument de poids pour négocier des suppressions de poste ou augmenter les prix de la cantine scolaire, cela écorne sérieusement l'image de la municipalité. D'après Maxime Seno, l'événement est « désastreux pour une commune. Un conseil municipal est élu sur la base d’un programme d'investissement, un programme qu’il ne pourra pas tenir s’il est mis sous tutelle ».
A Beauchamp (Val-d'Oise), une ville de 8 000 habitants, les difficultés financières et la mise sous tutelle mettent la majorité en difficulté, raconte Le Parisien. Un conseil municipal qui se fracture sur les questions de budget, une taxe foncière qui augmente : le jeu est dangereux à moins d'un an des élections municipales. 
… et auprès des banques
A mauvais payeur, taux d'intérêt élevés. C’est un principe bancaire immuable, pour les particuliers comme les municipalités.  Avec des taux d'intérêts très bas les premières années, ces emprunts peuvent mettre les maires en difficulté : au bout d'un certain temps, ce taux fluctue sans plafond, grimpant parfois jusqu'à 14%, comme à Angoulême, indique La Dépêche.
La mise sous tutelle d'une ville ne sonne donc pas toujours la fin de ses difficultés. Les Échos relayaient en 2003 le cas de Bussy-Saint-Georges (Seine-et-Marne), placée sous la tutelle du préfet. Sept ans plus tard, la ville n'était toujours pas guérie de sa mauvaise santé budgétaire, selon Le Parisien.
Le risque d'entraîner l'économie locale dans sa chute
La mise sous tutelle ne met pas uniquement la ville en danger. Les maires et leurs adjoints sont astreints à des économies drastiques. En France, le préfet qui gère le budget ne fait plus aucun nouvel investissement. Tout juste mène-t-il à terme les travaux en cours. Exit le rond-point en prévision, aux oubliettes les projets de zones franches. De quoi mettre des bâtons dans les roues aux entreprises locales, surtout en période de crise.
La menace des emprunts toxiques
Les investissements dans des emprunts toxiques avaient mis beaucoup de communes dans le rouge après la crise des subprimes en 2008.  C'était le cas à Argenteuil dans le Val-d'Oise, où le conseil municipal (majorité UMP) avait contracté un emprunt toxique auprès de Dexia.
Des centaines de villes avaient ainsi dû renégocier leurs emprunts.
Pour prévenir toute catastrophe :
 L’État agit généralement en amont, via le principe de péréquation qui vise à réduire les écarts de richesse entre les différentes collectivités territoriales. Il existe deux mécanismes de péréquation : la péréquation horizontale, qui consiste à attribuer aux collectivités défavorisées une partie des ressources des collectivités les plus riches ; et la péréquation verticale qui est assurée par les dotations de l'État aux collectivités.
Le gouvernement et les collectivités locales ont entériné le 16 juillet dernier une baisse de 1,5 milliard d'euros de leur dotation en 2014, sur une enveloppe totale d'environ 100 milliards d'euros. Mais en contrepartie, l'État a fait un geste en faveur des départements, qui vont bénéficier de ressources nouvelles. Avec notamment la possibilité mutation, prélevés lors de l'achat d'un bien immobilier.
Sources :
FranceTVinfo, L’expansion,  AFP

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