Étendard de l'automobile triomphante au début du
XXe siècle, Detroit est devenue jeudi 18 juillet la plus grande
ville américaine à se déclarer en faillite, dernier acte en date de la lente
agonie de « Motor City ».
La dette
accumulée par Detroit est vertigineuse : 18,5 milliards de dollars. Pour sortir de
l'ornière, Rick Snyder avait mandaté un expert, Kevyn Orr qui avait résumé les
causes de cette crise en quelques points : « une mauvaise gestion
financière, une population en
baisse, une érosion de la base fiscale pendant ces quarante-cinq dernières
années ».
Une commune en France pourrait-elle atteindre ce point critique ?
L'hypothèse apparaît improbable et de nombreux garde-fous existent de ce
côté-ci de l'Atlantique mais...
Les
collectivités locales françaises ne sont cependant pas des modèles d'équilibre
financier : les communes et groupements de communes, les départements et
les régions sont endettés pour un montant total de 132,4 milliards
d'euros au 31 décembre 2012 (+3,8% sur un an), soit 70% de leurs
recettes de fonctionnement, selon l'Observatoire des finances
locales.
Les villes et villages
français ne sont donc pas franchement en bonne santé financière (comme le
montre le classement des villes les plus
endettées de l'Hexagone), mais vous n'entendrez jamais parler d'une commune
qui dépose le bilan. Et pour cause, elles ont un des meilleurs garants au monde
: l'État français. Le seul risque est donc que l'État lui-même fasse faillite.
Explications.
D’abord,
les règles budgétaires sont strictes et le niveau d’endettement serait moins élevé
Les communes
françaises ne peuvent théoriquement pas atteindre le niveau de dette record des
villes américaines.
Tout d'abord, il est interdit en France d'emprunter
pour « combler un déficit de la section de fonctionnement ou une
insuffisance des ressources propres ». En clair, le code général des collectivités
locales n'autorise le recours à l'emprunt que pour financer des
investissements, pas pour les frais courants.
Pour
surveiller et éviter les écarts, les comptes de chaque commune sont contrôlés
par l'État. Le budget des communes est établi en début d'année. Au mois de
juin, le compte administratif, qui permet de vérifier les dépenses par rapport
aux prévisions, est établi et voté. L'administrateur des finances publiques,
représentant comptable de l'État dans le département, certifie la bonne tenue
des comptes.
Le
budget que vote la commune doit être équilibré, c'est-à-dire que ses recettes
doivent couvrir l'intégralité de ses dépenses - elle ne peut donc pas comme
l'État voter un budget en déficit -, les recettes et les dépenses doivent être
évaluées « sincèrement », et elle doit être capable de rembourser le
capital - hors intérêts d'emprunt - de sa dette contractée avec ses ressources
propres.
Cela
ne les empêche pas de s'endetter, mais elle ne peut pas le faire au-delà de sa
capacité de remboursement.
L’arme
suprême, la mise sous tutelle :
« Si
une commune fait des travaux et qu'elle ne peut pas régler les factures, l'entrepreneur
sera payé par l'État », explique Maxime Seno, avocat spécialisé en finances
publiques contacté par francetv info. Lorsqu'une municipalité ne boucle
pas son budget, la chambre régionale des comptes lui demande de faire des
efforts l'année suivante.
Si la
situation ne s'améliore toujours pas, le préfet, représentant de l’État, prend
les rênes de la gestion des finances.
Ce
fut le cas à Grigny
en 2009, où la commune de l'Essonne se retrouva avec un déficit insupportable
de 15,5 millions d'euros. Faute de budget adapté à la gravité de la situation,
le préfet avait suivi les recommandations de la chambre régionale des comptes :
les taxes foncières avaient bondi de 50 % et la taxe d'habitation de 44,26 %.
Ces hausses s'étaient accompagnées d'une réduction autoritaire des dépenses de
personnel et des subventions aux associations. Ce qui veut dire que chaque
citoyen doit mettre la main à la poche.
Plus
récemment, dans le Val-d'Oise, la ville de Beauchamp a subi le même sort. Mais les élus ont
refusé de voter un budget qui prévoyait une hausse de 27 % de la taxe foncière.
Le maire a retiré le vote, provoquant de facto la mise sous tutelle de la
ville. Depuis, la chambre régionale des comptes a rendu son verdict : elle
demande une augmentation de 30 % de la taxe foncière.
Dans les cas
extrêmes, le Conseil d'État peut destituer le maire de ses fonctions, expliquait Le Monde. C'est ce qui s'est passé pour la commune de
Hénin-Baumont dans
le Nord-Pas-de-Calais en 2009 avec révocation du
maire Gérard Dalongeville.
En France,
tous les ans, 200 à
300 municipalités sont mises sous tutelle, d'après Maxime Seno. Cela
ne dure parfois que quelques mois, le temps de redresser les comptes, mais les
conséquences sont les mêmes que celles de la faillite de Detroit.
La ville perd toute crédibilité auprès des
électeurs...
Rien ne dit
mieux son incapacité à gérer un budget que d’être mis sous tutelle. Et si cela
peut constituer un argument de poids pour négocier des suppressions de poste ou
augmenter les prix de la cantine scolaire, cela écorne sérieusement l'image de
la municipalité. D'après Maxime Seno, l'événement est « désastreux
pour une commune. Un conseil municipal est élu sur la base d’un programme
d'investissement, un programme qu’il ne pourra pas tenir s’il est mis sous
tutelle ».
A Beauchamp
(Val-d'Oise), une ville de 8 000 habitants, les difficultés
financières et la mise sous tutelle mettent la majorité en difficulté,
raconte Le Parisien. Un conseil
municipal qui se fracture sur les questions de budget, une taxe foncière qui
augmente : le jeu est dangereux à moins d'un an des élections
municipales.
… et auprès des banques
A mauvais
payeur, taux d'intérêt élevés. C’est un principe bancaire immuable, pour les
particuliers comme les municipalités. Avec des taux d'intérêts très bas
les premières années, ces emprunts peuvent mettre les maires en difficulté : au
bout d'un certain temps, ce taux fluctue sans plafond, grimpant parfois jusqu'à
14%, comme à Angoulême, indique La
Dépêche.
La mise sous
tutelle d'une ville ne sonne donc pas toujours la fin de ses difficultés. Les Échos relayaient
en 2003 le cas de Bussy-Saint-Georges (Seine-et-Marne), placée sous la tutelle
du préfet. Sept ans plus tard, la ville n'était toujours pas guérie de sa
mauvaise santé budgétaire, selon Le Parisien.
Le risque d'entraîner l'économie locale dans sa chute
La mise sous
tutelle ne met pas uniquement la ville en danger. Les maires et leurs adjoints
sont astreints à des économies drastiques. En France, le préfet qui gère le
budget ne fait plus aucun nouvel investissement. Tout juste mène-t-il à terme
les travaux en cours. Exit le rond-point en prévision, aux oubliettes les
projets de zones franches. De quoi mettre des bâtons dans les roues aux
entreprises locales, surtout en période de crise.
La
menace des emprunts toxiques
Les investissements
dans des emprunts toxiques avaient mis beaucoup de communes dans le rouge après
la crise des subprimes en 2008. C'était
le cas à Argenteuil dans le Val-d'Oise, où le conseil municipal (majorité UMP)
avait contracté un emprunt toxique auprès de Dexia. Des centaines de villes avaient ainsi dû renégocier leurs emprunts.
Pour prévenir toute catastrophe :
L’État agit généralement en amont, via
le principe de péréquation qui vise à réduire les écarts de
richesse entre les différentes collectivités territoriales. Il existe deux
mécanismes de péréquation : la péréquation horizontale, qui consiste à
attribuer aux collectivités défavorisées une partie des ressources des
collectivités les plus riches ; et la péréquation verticale qui est assurée par
les dotations de l'État aux collectivités.
Le gouvernement
et les collectivités locales ont entériné le 16 juillet dernier une baisse de
1,5 milliard d'euros de leur dotation en 2014, sur une enveloppe totale
d'environ 100 milliards d'euros. Mais en contrepartie, l'État a fait un
geste en faveur des départements, qui vont bénéficier de ressources
nouvelles. Avec notamment la possibilité mutation, prélevés lors de
l'achat d'un bien immobilier.
Sources :
FranceTVinfo, L’expansion, AFP
En savoir plus
sur http://lexpansion.lexpress.fr/economie/une-ville-francaise-peut-elle-faire-faillite-comme-detroit_395297.html#0IQRG28wSTXU44pI.99
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